mardi 20 novembre 2012

Patriotisme et socialisme

Voici la mise à jour d'un article que j'ai rédigé il y a quelques années sur la nécessité de combiner le socialisme avec l'amour de la patrie et qui déplore le fait qu'une bonne partie de la gauche québécoise soit vautrée dans un antinationalisme primaire.

PATRIOTISME ET SOCIALISME

Est-ce que le socialisme peut être compatible avec le patriotisme? Si l’on se fie à une certaine partie de ce qu’on appelle généralement la «gauche», ce sont deux termes antagoniques et toute idée de faire une synthèse des deux est rejetée du revers de la main. La fierté patriotique est un sujet bien souvent tabou parmi les gens de gauche qui dans certains cas n’hésitent pas à lancer de manière indiscriminée les épithètes de racistes, xénophobes, voire fascistes à la tête de ceux qui s’en réclament. Selon une organisation anarchiste bien connue au Québec et dissoute en 2014, l’UCL (Union Communiste Libertaire), le nationalisme ou patriotisme divise la classe ouvrière et tend à créer des sentiments de solidarité entre bourgeois et ouvriers au sein d’une même nation (1). Les travailleurs n’ont pas de patrie est leur mot d’ordre le plus courant! Comme si au départ les travailleurs ne naissaient pas au sein d’une nation déterminée! La classe ouvrière est bien sûr internationale, dans le sens qu’elle existe dans tous les pays, mais chaque ouvrier et chaque ouvrière vient au monde dans un pays avec une langue et une culture particulières.

Bien souvent les anarchistes et d’autres courants de la «gauche» nous servent la rengaine de la nécessité d’un monde sans frontières ou tous les travailleurs et travailleuses vivraient dans la fraternité, l’amour sans limites et ou tous les conflits nationaux et ethniques disparaitraient comme par magie! Bien sûr les conflits entre nations et pays ne sont pas un élément positif dans la vie politique internationale et génèrent souvent des tragédies et des désastres sans nombres. Ceci dit la disparition des frontières n’est en aucune manière une panacée pour éviter ce genre de conflits meurtriers et dévastateurs. Elle pourrait même au contraire favoriser les guerres interethniques, car il n’y aurait plus de barrières pouvant empêcher ou du moins freiner dans ses ardeurs une armée d’envahir un territoire voisin. Nous pouvons très bien être de fiers patriotes tout en soutenant les peuples et les travailleurs en lutte partout dans le monde. Un patriotisme rationalisé et pensé n’empêche nullement la solidarité internationale et internationaliste.

Il ne faut pas oublier non plus que le capitalisme, comme le disait si bien le syndicaliste Michel Chartrand, est un système apatride (2). Les capitalistes font la promotion de la mondialisation ultralibérale brutale et impitoyable, qui piétine les différentes cultures et identités nationales ainsi que les droits et les acquis sociaux durement gagnés de la classe ouvrière. Ils font tout pour niveler par le bas nos conditions de vie et de travail par le biais d’une uniformisation destructrice. Contrairement à certains mythes propagés par des militants soi-disant «internationalistes», les patrons ne sont pas particulièrement attachés aux sentiments patriotiques et à la défense de la patrie, même si parfois ils se servent de ça dans le but de se donner une façade de respectabilité face aux travailleurs de leur nation. Ils le font bien souvent dans le but d’arracher des sacrifices aux  producteurs de la richesse, en leur affirmant de manière tout à fait mensongère et démagogique que «l’intérêt national» exige des concessions dans le but de «sauver» l’économie du pays face à ses concurrents.

Dans le cas du Québec, les capitalistes nationaux si on peut les appeler ainsi, ne se sont jamais illustrés dans leur soutien à la lutte pour l’indépendance nationale ni dans le combat pour la défense de la langue et de la culture françaises. Lors des deux référendums, en 1980 en 1995, les principaux organismes patronaux, dont le Conseil du Patronat du Québec, ont appelé à voter Non. Les patrons qui étaient reconnus pour leurs convictions nationalistes, comme Claude Béland du Mouvement Desjardins et feu Pierre Péladeau de Québécor, sont demeurés plutôt silencieux lors de la campagne référendaire de 1995. Le mouvement indépendantiste québécois était et est toujours bien plus soutenu par les syndicats, les groupes populaires, les groupes féministes et ce sont eux qui sont à l’avant-plan des mobilisations pour l’indépendance et la défense de la langue française et ce depuis les années 1960. Il y a eu différents mouvements socialistes dans l’histoire qui ont appuyé la lutte de libération nationale du peuple québécois, dont le Parti Communiste du Canada Français dirigé par le syndicaliste Henri Gagnon, le Rassemblement pour l’Indépendance Nationale (RIN), le Front de Libération Populaire (FLP), le Mouvement Socialiste, le Parti Marxiste-Léniniste du Québec et Québec Solidaire, même si le discours socialiste et indépendantiste de cette formation peut sembler tiède à plusieurs. La Coalition contre le projet de loi 103, devenu ensuite la loi 115, sur les écoles passerelles pour contourner la loi 101 et permettre ainsi à des enfants francophones et allophones de s’inscrire à l’école anglaise, compte dans ses rangs de nombreux syndicats, comme la CSN (Confédération des syndicats nationaux) et la CSQ (Centrale des syndicats du Québec) et aucun organisme patronal (3). C’est donc clair que les capitalistes québécois, dans leur très grande majorité, ne cherchent nullement à mousser le sentiment patriotique québécois et sont au contraire très complaisants face à l’anglicisation rampante, alors que le mouvement ouvrier et populaire exprime de profondes préoccupations à cet égard. L’affirmation trop facile que tout sentiment patriotique et nationaliste est nécessairement bourgeois est donc réfutée par ces exemples tirés de la vie politique québécoise.

Si nous prenons le temps d’analyser les expériences socialistes du XXème siècle, nous pouvons facilement constater qu’elles n’ont nullement été dépourvues de tout patriotisme. Le grand dirigeant soviétique Joseph Staline a décidé de se concentrer sur la construction du socialisme dans un seul pays, en l'occurrence l'URSS, suite à l'échec des révolutions en Europe dans les années 20. Il a su faire appel aux sentiments patriotiques russes lors de la 2ème guerre mondiale contre l'agression nazie. Staline a été l'inspirateur et le concepteur du socialisme patriotique et a combattu sans compromis le cosmopolitisme. La Révolution Cubaine en 1959 a chassé les exploiteurs impérialistes yankees du sol cubain et a permis au peuple de ce pays de retrouver la dignité et la fierté nationales tant bafouées depuis des décennies. Fidel Castro n’a pas hésité à prononcer son fameux «La patrie ou la mort. Nous vaincrons!» lors d’un discours à La Havane en 1960. Il ne faut pas oublier que la Révolution cubaine a été initiée par un mouvement national-révolutionnaire de gauche, le M-26, comme en retrouve tant en Amérique Latine. La Révolution chinoise en 1949 a été le résultat et le couronnement d’une lutte de libération nationale contre l’impérialisme  japonais et aussi contre l’interventionnisme yankee dès la fin de la Deuxième guerre mondiale. D’ailleurs Mao-Tsé-Toung, qui était le chef du Parti Communiste chinois à l’époque, a déjà dit : «Le communiste, qui est internationaliste, peut-il être en même temps patriote? Nous pensons que non seulement il le peut, mais qu’il le doit. Ce sont les conditions historiques qui déterminent le contenu concret du patriotisme... Car seul le combat pour la défense de la patrie permet de vaincre les agresseurs et de libérer la nation» (4).

Les extraits cités démontrent clairement que Mao, contrairement à certains gens de gauche québécois qui se réclament de lui, ne dédaignait le patriotisme et le considérait comme un élément essentiel de sa pensée politique. Comme le disait si bien le dirigeant communiste albanais Enver Hoxha: «Aux moments difficiles que connaissait alors la patrie, face aux dangers qui menaçaient son existence, nous, communistes, nous devions, certes, nous appuyer solidement sur les riches traditions patriotiques et combattantes de notre peuple, sur sa ferme volonté de s’unir dans la lutte pour la liberté» (5). Certains peuvent nous répondre en affirmant au fond que le Québec n’est pas une nation occupée militairement et qu’ils soutiennent seulement les peuples qui font face à des agressions militaires. Même si le Québec ne subit pas une occupation militaire directe de la part de l’impérialisme anglo-canadien, il est toujours dominé par ce dernier et son droit à l’autodétermination nationale n’est nullement reconnu dans les faits.

La révolution yougoslave dirigée par le maréchal Tito en 1945 est un excellent modèle de lutte de libération nationale réussie. Josip Broz Tito a su défendre l'indépendance de son pays face à des adversaires redoutables. Il a adapté le socialisme aux conditions de son pays et a joué un rôle de premier plan dans le mouvement des pays non-alignés qui refusait de se mettre au service d'une superpuissance ou l'autre. En 1967, la Yougoslavie de Tito n'a pas hésité à rompre ses relations avec Israël en solidarité avec les peuples arabes (6).

A partir du mois d'avril 2014 jusqu'au 1er octobre 2018, le Québec est à nouveau sous la férule d'un gouvernement libéral et résolument fédéraliste, foncièrement hostile à toute volonté de libération nationale et qui a mis en oeuvre un programme draconien d'austérité et de compressions budgétaires dans les programmes sociaux. Le bref retour au pouvoir du Parti Québécois entre septembre 2012 et avril 2014 a été fort décevant. Après avoir annulé la hausse drastique des frais de scolarité décrétée par le gouvernement de Jean Charest en 2012 et qui a déclenché le célèbre "Printemps érable", le PQ a procédé à des coupures budgétaires, notamment à l'aide sociale, et il s'était engagé à augmenter les tarifs de garderies de 2$ en deux ans. La désillusion envers le PQ combinée au fiasco de la  Charte des valeurs québécoises a mené à la déroute électorale du 7 avril 2014 et au retour au pouvoir du PLQ. L'ex-PDG de Québécor, Pierre-Karl Péladeau a voulu se présenter en sauveur du Parti Québécois, mais à peine un an après son élection à la chefferie du parti il démissionna. Tout ceci montre l'impasse du souverainisme bourgeois du PQ et la nécessité d'une alternative indépendantiste et socialiste.
Depuis le 1er octobre 2018 nous sommes sous la gouverne de la Coalition Avenir Québec, un parti autonomiste dans la lignée de Maurice Duplessis, qui réclame plus de pouvoirs pour le Québec sans pour autant aspirer à l'indépendance de notre nation. Son programme économique est typiquement néolibéral et son chef François Legault est l'ancien PDG d'Air Transat. Le 28 mars 2019 la CAQ a déposé un projet de loi sur la laïcité, le projet de loi 21, qui interdit le port de signes religieux pour les employés de la fonction publique en situation d'autorité, incluant les enseignants et enseignantes. C'est un pas en avant pour la défense de l'identité québécoise et le gouvernement canadien a très clairement démontré son hostilité, tout comme le maire de la municipalité d'Hampstead, William Steinberg, un juif anglophone très antiquébécois. Ce dernier a même parlé de "nettoyage ethnique", comme si les Israéliens n'étaient pas en train d'en commettre un en Palestine (7)!  Sans surprise la plus grande partie de la gauche québécoise, Québec Solidaire en tête, est contre ce projet de loi et préfère défendre les minorités religieuses plutôt que la classe ouvrière.

Au Québec le patriotisme ne peut avoir de sens que s’il est fusionné avec le socialisme et le renversement du capitalisme. Sinon nous ne ferons que reproduire le système canadien sur une plus petite échelle et nous serons toujours aux prises avec les mêmes injustices sociales et économiques causées par le système capitaliste exploiteur, apatride et de plus en plus brutal.

Pour la libération nationale et sociale du Québec!

Richard Chartrand

(1) L’ABC de l’UCL, Brochure de l’Union Communiste Libertaire, p.6

(2) Michel Chartrand est en général très apprécié par les anarchistes à cause de son syndicalisme combatif. Par contre sa célèbre phrase sur le capitalisme apatride est toujours passée sous silence par eux, tout comme ils minimisent très souvent son activisme patriotique pour ne parler que du combat syndical et socialiste. Pour les anarchistes il ne peut y avoir de liens entre les deux.


(4) «Le rôle du parti communiste chinois dans la guerre nationale» dans Textes choisis de Mao Tsetoung, Éditions en Langues Étrangères, Pékin, 1972, pp.149-150

(5) Hoxha, Enver, Quand on jetait les fondements de l’Albanie nouvelle, Institut Marx, Engels, Lénine, Staline, Toronto, 1985, p.11






samedi 10 novembre 2012

La dérive oligarchique naturelle des régimes politiques

LA DERIVE OLIGARCHIQUE NATURELLE DES REGIMES POLITIQUES

Un excellent texte d'André Gandillon, rédacteur en chef du journal nationaliste français Militant (http://www.journal-militant.fr/).


Tout système politique est incarné par des hommes qui tissent des liens humains et sociaux et il est ainsi conduit à devenir un système oligarchique, à des degrés différents d'organisation.

Qu'est-ce que l'oligarchie ?
Qu'appelons-nous oligarchie ? Il s'agit de ce petit noyau de personnes qui se connaissent assez pour travailler ensemble sans relations formelles et qui partagent une même vision des choses et les mêmes objectifs. Sous cet aspect, les oligarchies existent toujours et tendent sans cesse à se constituer ou à se reconstituer.
Cette évolution est présente dès l'installation d'un système politique lorsqu'une nouvelle équipe d'hommes accède aux fonctions dirigeantes d'un Etat et d'une société. La raison en est que tous se connaissent à des degrés divers, unis par des liens plus ou moins forts, familiaux, amicaux, de camaraderie politique forgée à l'épreuve de l'action notamment, et nourris par intérêt commun à servir à la réussite de l'entreprise à laquelle ils sont attachés.
Ces liens tissent dès l'origine un réseau relationnel qui conduit à constituer un groupe de personnes qui travaillent ensemble, disposent de moyens d'information privilégiés et de facilités de travail auxquels ceux qui se trouvent en dehors ne peuvent accéder et ne peuvent participer.

La cristallisation oligarchique
Cette cristallisation relationnelle est plus largement le propre de toute société, qu'il s'agisse d'une nation, d'une association, d'une entreprise, dès lors que celles-ci regroupent un nombre important de personnes. Et ce processus commence dès que la société concernée rassemble quelques dizaines de personnes. Il s'intensifie fortement avec l'augmentation du nombre des sociétaires et s'affirme avec force lorsqu'il s'agit de plusieurs milliers de personnes.
Toute organisation – et l'Etat en une – constitue une société humaine qui est nécessairement délimitée, ne serait-ce que par le réseau plus ou moins complexe de connections se mettant en place et se structurant en fonction de l'objectif commun à atteindre. Aucun système, aucun dispositif ne pourra éviter un tel état de fait.
Au fil du temps, la structure oligarchique se complexifie : des réseaux, des cercles multiples imbriqués les uns dans les autres, en quasi-totalité informels, le plus souvent discrets se constituent et se multiplient. Ils sont mouvants, au gré des personnes et des intérêts, peuvent être durables ou éphémères.
Cette réalité fait qu'ils sont généralement difficiles à saisir et à identifier. Les régimes oligarchiques ne sont pas structurellement simples. En général, les instances dirigeantes d'un Etat ne dépassent pas quelques dizaines de personnes pour le premier cercle du pouvoir, quelques centaines pour le deuxième cercle, qui est l'antichambre du pouvoir, puis plusieurs milliers pour les multiples structures formelles ou informelles de troisième cercle, les relations entre ces différents cercles étant plus ou moins fluides selon les personnes et les époques, avec parfois cette possibilité de passer rapidement de l'arrière plan au premier plan.
Quel que soit le régime, il se constitue un lieu qui est le centre du pouvoir, c'est-à-dire l'organisme, ou le groupe des personnes qui influencent, voire dictent la ligne d'action du régime en place si le chef du pouvoir est affaibli. En France, en ce qui concerne l'Etat, le lieu majeur, le corps principal qui influe sur les gouvernements qui se succèdent, avec lesquels il a su tisser des relations au cours de la vie politique et administrative de l'Etat dès avant leur accès aux fonctions dirigeantes nominales, est le petit groupe des inspecteurs des finances occupant les centres de décision du ministère des finances.

Lieux oligarchiques
Plus largement, pour rester en France, le club assez informel, mais réel qu'est "Le Siècle" constitue le lieu, l'instance où se nouent les relations de l'oligarchie du régime républicain, qui se perpétue ainsi par cooptation, et qui relie, fédère les différentes sources de pouvoir existant dans une société, qu'il s'agisse du pouvoir politique, du pouvoir économique, des pouvoirs médiatique et intellectuel, cela sans omettre les liens extra que ces personnes nouent internationalement avec des cercles relationnels transnationaux, comme c'est le cas depuis des décennies.
Face à cette réalité du pouvoir, le Parlement pèse assez peu la plupart du temps, surtout lorsque les dirigeants de ces assemblées parlementaires sont eux-mêmes issus ou membres de ces centres de pouvoir effectifs.
Nous pourrions continuer avec les Etats-Unis où le pouvoir politique est fortement dépendant de quelques banquiers, des cercles comme le CFR ou les Kull and Bones … Dans l'URSS, le pouvoir dépendait principalement d'un petit noyau de responsables du Parti communiste, du GRU et du KGB.
Les formes que peuvent prendre ces oligarchies varient dans le temps. De nos jours, se développe surtout un système de réseau qui regroupe des personnes disposant d'un réseau relationnel qui leur permet d'accéder rapidement à des informations et de bénéficier de passe-droits, d'avantages qui créent un pouvoir de fait et le renforcent en intensifiant ces connexions. Le caractère de plus en plus technique des fonctions du pouvoir fait que les techniciens sont de plus en plus nombreux parmi les personnels gouvernementaux et disposent d'un pouvoir de décision accru, imposant des solutions techniques là où devrait s'exercer l'art du politique : cette technocratie, parfois confondue avec les responsables politiques, constituent de puissantes oligarchies. Et s'ils ne dirigent pas eux-mêmes, ils orientent les décisions des responsables nominaux.
Les oligarchies sont des lieux de privilèges qui facilitent les relations, l'efficacité des actions politiques et qui échappent à tout contrôle effectif autre que celui qu'elles-mêmes veulent bien accepter.

Les dangers de la sclérose
Quelle que soit la nature d'un régime politique, celui-ci tend naturellement à se consolider, à se rendre immune mais, par là même à s'ossifier puis à se scléroser. Les oligarchies participent largement à ce processus.
Le danger provient de ce qu'il contient les germes d'une dégradation qui peut mettre en péril l'existence de ce régime politique mais aussi, plus gravement encore, l'existence même de cette société. Il revêt plusieurs aspects concourants.
Le premier aspect résulte du repli sur soi et de la coupure qui finit par s'établir entre la masse des dirigés et les dirigeants et la déconnexion qui tend à exister entre la vision que ces cercles ont du réel et le réel lui-même, le pouvoir isolant très vite ceux qui le détiennent de la réalité de la société concernée.
La sclérose de la pensée de ces cercles oligarchiques en résulte et cet isolement a pour conséquence la conduite d'une politique inadaptée aux besoins de la société, dont le plus grand travers est la coupure entre les cercles dirigeants et la population, la dérive ultime résidant, second aspect du danger, dans l'accaparement et la confiscation du pouvoir de l'Etat – ou de l'organisme concerné – au profit exclusif des cercles dirigeants transformés en une caste dirigeante et desservant ainsi l'intérêt général de la dite société, ce qui pour une nation est le bien commun national.

Le cas de la démocratie
Le système démocratique présente théoriquement l'avantage d'éviter une telle ossification dans la mesure où les cercles dirigeants du pouvoir sont appelés à être renouvelés toujours assez rapidement, les mandats électifs étant régulièrement remis en cause et permettant le changement de personnel.
Mais outre que le procédé électif par mandatures périodiques s'effectue au détriment de la continuité de la politique à mener, il apparaît que le système démocratique, en tant que système cohérent, constitue un cadre organisationnel structuré et défendu et animé par des hommes qui, bien que divisés sur des idées, sur des conflits d'intérêts personnels, ou de groupes, se retrouvent tous unis dans une même adhésion aux fondements du système en place auquel ils participent. Une oligarchie régimiste, en dépit des divergences internes, se constitue, et sait toujours – ou quasiment toujours- s'entendre sur ce qu'il faut faire, ou ne pas faire, pour éviter la mise en péril du régime qui les rassemble et par suite leur propre situation.
Ils constituent donc, au delà de leurs divergences et de leurs querelles personnelles, une communauté d'intérêts. D'ailleurs, ces divergences, normales de par la nature humaine qui fait que les gens développent des avis, des analyses différentes sur les sujets à traiter, ne doivent pas faire illusion : pour importantes qu'elles puissent apparaître, elle ne prennent cette importance que par la théâtralisation dont elles sont l'objet, médias aidant. La mise en scène du débat politique partisan, institutionnalisé, mais que trop souvent les connivences et les ententes de fond qui les unissent, à savoir assurer la pérennité du système. Si un mouvement politique ne partage pas les principes fondateurs du système, il est inévitablement ostracisé et l'oligarchie régimiste sait généralement s'unir pour le réduire.
De par leur appartenance au régime qu'ils ont intérêt à maintenir, ces personnels politiques en arrivent à constituer un ordre oligarchique dont les liens se renforcent avec le temps à travers les sources et des canaux multiples par la technocratie, les écoles.
Des connections complexes, discrètes, se nouent à travers ces affluents, d'autant plus que la barrière entre exécutant et dirigeant est loin d'être nette.
En outre, la non distinction du magistère et du pouvoir politique en démocratie aggrave la confusion car tous relèvent peu ou prou du même magistère, soit qu'ils sont soumis sincèrement ou soumis par intérêt, les intentions intérieures ne comptant pas, les hommes étant la somme de leurs actes.
Le rôle de la cooptation, qu'elle soit tacite, par sélection mandarinale à travers les écoles ou par sélection explicite est ici primordial pour assurer la reproduction de ces oligarchies.
La communauté d'intérêt, de famille par les alliances matrimoniales qui ne manquent pas de naître contribuent à la constitution d'une oligarchie mais aussi à sa sclérose et à son blocage : l'oligarchie, ou les oligarchies ne se renouvellent plus par apport de sang neuf venant des différentes couches de la population.

Quels remèdes possibles ?
Si la dérive oligarchique sous-tend l'évolution de tout système politique, tout l'art du politique consistera, en la matière, à éviter que cette ossification tendancielle ne produise une sclérose qui nuise à l'ensemble de la société, de la nation. Bien évidemment, l'état de santé spirituel et moral du peuple et de ses élites est primordial.
Sous cette condition, l'art du politique consistera donc à mettre en place des mécanismes qui combattent la tendance à la sclérose oligarchique, par son non renouvellement, et les dangers mortels qu'elle contient, mécanismes qui doivent être de juste mesure (à développer) La fluidification du renouvellement des élites d'une nation est donc la condition première, en permettant l'accès des meilleurs éléments de chaque génération aux fonctions dirigeantes, quelle que soit leur origine sociale et le corps intermédiaire dont ils sont issus.
La structure sociale fondée sur les corps intermédiaires permet cette fragmentation de l'ossification oligarchique car elle offre de multiples souverainetés permettant à la fois de tempérer les échelons supérieurs et de permettre l'émergence de personnalités aux compétences multiples et en mesure de faire preuve de leurs capacités.
Mais il importe de placer en tant que principe fondateur le principe de la primauté du politique. Le pouvoir d'Etat ne peut être l'expression d'une oligarchie et de ses intérêts propres. Il doit être en mesure de la dominer. L'exercice n'est pas aisé car les cercles de pouvoirs s'interpénètrent inévitablement à des degrés certes différents, mais aussi et surtout s'influencent. Ce qui importe, c'est d'avoir un pouvoir d'essence monarchique qui les soumet, les contrôle, soit en mesure de les dissoudre le cas échéant, sachant que l'oligarchie – ou des oligarchies - tendent toujours à se constituer.
L'autre moyen permettant d'éviter l'ossification d'un régime et par suite son blocage est de permettre l'émergence de ce que l'on appelle le "pouvoir d'en bas". Le principe du référendum d'initiative populaire est un élément majeur de ce dispositif, pourvu qu'il soit utilisé dans des conditions précises que nous ne pouvons aborder ici, faut de place..
Il faut que ce référendum soit à la fois un moyen d'expression de la masse sans pour autant que celle-ci acquière un pouvoir qu'elle n'a pas la capacité d'exercer. Le référendum ne peut se pratiquer que dans de petites communautés.
En pratique, une équipe dirigeante efficace ne devrait pas avoir à être confrontée à cette extrémité car si elle est en communion permanente avec la population, elle gouverne en symbiose avec ses mandants, évitant les divergences notoires et durables.
Sur la longue durée, l'exercice consistant à éviter la dérive oligarchique d'un régime politique est chose difficile. Toutefois, une société démocratique, atomisée comme celle que nous connaissons; dans laquelle il n'existe plus qu'une masse indifférenciée d'individus face à des pouvoirs éloignés d'eux et soumise à l'abrutissement médiatique quotidien, n'est certainement pas la solution à ce travers tendanciel des sociétés humaines. Nous le vivons tous les jours.

André GANDILLON
http://www.journal-militant.fr/